« Elle me fait penser à ce qu’aurait dû être aujourd’hui une Bentley Continental si la Bentley avait évolué dans le bon sens ! » écrivait en 1969 Philippe de Barsy à propos de la Lamborghini Espada dans Virage Auto. Pouvait-on mieux résumer cette étonnante Grand Tourisme ?
L’Histoire a retenu de la Bentley Continental à châssis type R qu’elle était en 1952 la 4-places la plus rapide du monde. S’il y a eu des Continental jusqu’en 1966, avant un grand sommeil de près de vingt ans, la deuxième génération sur châssis S a pâti de la standardisation de ses caractéristiques mécaniques avec Rolls-Royce et de l’assagissement des carrosseries spéciales de H.J. Mulliner et Mulliner. Après 1966, les coupés… continentaux, Mercedes en tête, voire américains, reprennent le ruban bleu des Grand Tourismes de prestige. Ferrari ou Maserati proposent également des coupés 4-places, mais s’il s’agit plutôt de 2+2 au pavillon fuyant, fort peu accueillants pour les passagers (enfants ?) arrière. Il en est de même pour la 400 GT 2+2 de Lamborghini à ceci près que Ferruccio envisage de produire une GT à 4 vraies places, la plus rapide de son temps, comme l’était la Continental 15 ans plus tôt.
Le prologue en sera le prototype de salon Marzal, dessiné chez Bertone par l’inévitable Marcello Gandini, sans qui on se demande ce que serait devenu Lamborghini. Le public le découvre en 1967 au salon de Genève. On peut grossièrement la décrire comme une étude de Miura allongée à 4 sièges individuels. Ses deux portes en aile de mouette entièrement vitrées s’ouvrent sur presque toute la longueur de l’habitacle aux discutables fauteuils en skaï argenté. A l’arrière, le V12 perd un banc de cylindres au bénéfice de l’habitabilité. Fonctionnel, le prototype fait l’ouverture (à vitesse modérée) du Grand Prix de Monaco avec le Prince Rainier et Grace Kelly à son bord. La même année, Gandini en livre une interprétation beaucoup plus réaliste, à moteur avant et portières classiques, la Pirana, pour le salon de Londres. Une commande insolite du quotidien britannique The Daily Telegraph voulue comme l’expression de la voiture idéale ! Idéale, elle ne l’est pas vraiment avec les voies étroites de sa plate-forme étriquée de Jaguar Type E qui jurent avec la largeur de la carrosserie, mais il ne s’agit pour Gandini que d’un brouillon.
Chez Lamborghini, la future 4-places avance bon train. L’un des premiers prototypes synthétise les idées de la Marzal et de la Pirana avec son V12 repositionné à l’avant et ses portes ouvrant toujours vers le haut, mais tôlées à mi-hauteur pour limiter l’effet aquarium que Ferruccio n’aimait pas sur la Marzal. Ce prototype a été miraculeusement conservé. Restauré, il se trouve aujourd’hui dans le magnifique musée créé par Tonini Lamborghini, le fils de Ferruccio, musée soit-dit en passant bien plus intéressant et riche en documents de toutes sortes que celui de l’usine elle-même !
Des complications d’homologation pousseront à doter la voiture définitive de portières à ouverture classique. Pour autant, l’auto appelée Espada que le public découvre en 1968 à Genève, saisit par des proportions et une originalité que l’on aurait jamais imaginées chez Pininfarina, le maître de l’élégance italienne. Qui plus est comparée à la trop classique Islero, 2+2 que Lamborghini présente en même temps que l’Espada sur son stand. Pour l’anecdote, le premier client de l’Espada en France, en 1969, fut Jacques Dutronc (qui a parlé de footballeur ?) lequel a précédemment possédé une Miura. Serai-ce cela, son joujou extra ? L’Espada réalise surtout la synthèse difficile entre sportivité, praticité et esthétique. Une synthèse presque idéale restée sans lendemain chez Lamborghini où l’on n’a longtemps fabriqué que des descendantes de la Countach en oubliant que la firme au taureau avait constitué sous Ferruccio une véritable gamme : berlinette V8, berlinette V12, GT V12 2+2, GT V12 4-places à défaut d’une berline, envisagée mais jamais produite.
Texte : Laurent Berreterot – Photos : Bertone et Laurent Berreterot
Retrouvez l’essai de l’Espada ce mois-ci dans Youngtimers !
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