Pierre Dreyfus, le patron de la Régie Renault, comparait la 4L à une « voiture blue jean ». C’était bien sûr une image, mais d’autres constructeurs ont pris la chose au premier degré en revêtant les sièges de leurs voitures populaires de la célèbre toile de denim. Avec succès !
Texte Laurent Berreterot – Documents jeansbeetles.com, auto-pub.net et archives de l’auteur
C’est en 1956 lors d’une réunion informelle avec le directeur du bureau d’étude et les directeurs de fabrication que Pierre Dreyfus expliqua le principe de sa future petite voiture pratique et polyvalente. « Appelons-la, entre nous, la « Blue Jean ». Vous voyez ce que je veux dire : un vêtement que l’on peut porter en toutes circonstances, si l’on n’a pas de prétentions au snobisme, au conformisme social, qui vous rend tous les services, qu’on traîne partout, qui ne coûte pas cher, qu’on peut remplacer sans se sentir dépaysé… » Le pantalon en toile de denim, ou jean, avait déjà commencé à conquérir l’Occident et en particulier la jeunesse mieux encore qu’Hollywood et le chewing-gum…
Renault n’est cependant pas allé jusqu’à habiller les sièges tubulaires de sa R4 de la même matière que le Levi’s 501. Citroën a par contre proposé un Tep « jean’s », un simili imitant le denim pour la 2CV6 Spécial, mais dans les années 1980 seulement. C’est en réalité à Volkswagen que revient la primeur de l’idée, toute simple, mais géniale, de la voiture blue jean. C’est le principe de la série limitée « Jeans » proposée à la rentrée 1973 sur la base de la 1200, la plus lente et la moins chère des Coccinelle (à relire dans Youngtimers n°133). Avec elle, VW visait la jeunesse. Cela peut paraître paradoxal pour un modèle aussi ancien, désuet voire peu sûr sur le mouillé, mais en 1973 la crise pétrolière et la fin de la croissance à deux chiffres a relégitimé les voitures « essentielles » économiques à l’achat. « Dans le contexte économique actuel, il est indéniable que les Coccinelles, et en particulier les 1200, ont un avenir devant elle » affirme sans férir la documentation adressée à la force de vente. On s’est gardé bien sûr de préciser que la Golf, qui va marquer chez VW un bon technologique de quarante ans en avant, est quasiment prête…
D’abord peinte en jaune Tunis, la Jeans camoufle ses éléments chromés (jugés alors rétrogrades) par de la peinture noire assortie à ses bandes adhésives et chausse des jantes Lemmerz d’allure sportive. Ses sièges revêtent logiquement du blue jean (avec des passepoils bleus et des surpiqûres jaunes) assorti au vinyle des contre-portes. Fin 1973, une seconde série se reconnaît à ses jantes Lemmerz Champion ou Marathon et aux choix des teintes rouge Phoenix, jaune Marino et jaune Brillant. A chacune correspond une couleur de jean différente : noir, bleu ou vert. Suit une troisième série en octobre 1974. Retour aux jantes GT et modifications des modèles 75 : clignotants sur pare-choc et non plus au sommet des ailes, protection plastique sur planche de bord, appuis-tête. Teintes orange Nepal, orange Leucht et jaune Tunis. L’élixir de jeunesse a si bien fonctionné que VW commercialisa à la mi-74 un kit de transformation de toute Coccinelle en Jeans !
Il faut attendre mai 1986 pour revoir une voiture blue jean, cette fois-ci chez Peugeot. Après avoir visé le haut-de-gamme avec ses trois séries de 205 Lacoste, le constructeur a cherché à relancer les 205 d’accès à moteur 954 cm³, Base, XE ou GL. Celles-ci ne représentent en effet que 3% des ventes globales. Rien d’étonnant vu leur dépouillement décourageant. Par ailleurs, le plus petit moteur de la gamme n’est même pas le plus économique. En partant d’une base de XE (une 3 portes donc), l’idée était de conquérir la clientèle des jeunes conducteurs, lesquels ont probablement passé leur permis avec une 205 GRD d’auto-école, comme beaucoup. Cibles définies par le service marketing : « un garçon, une fille d’environ 25 ans. Ils sont sensibles à l’esthétique de leur voiture qui demeure pour eux un achat important. Ils sont plutôt sportifs mais aiment surtout ce qui les rattache à un groupe d’individus, à un style. Ils aiment les ensembles en jeans, les sweatshirts colorés. Ils veulent être dans le coup. »
D’où la 205 Junior ! Ses atours : des bandes adhésives rose, bleu et menthe le long de la carrosserie et les enjoliveurs de custode avec un rappel sur le volet arrière, des joncs chromés de pare-chocs, des couvre-jantes type XR/GR assortis à la caisse lorsque celle ci est blanc Meije (un gris Futura était disponible en supplément) et surtout une sellerie en blue jean à surpiqûres multicolores et appuis-tête. C’est tout, mais cela suffit à faire un carton, bien soutenu la petite vignette (4CV), le prix d’attaque inférieur à 50.000 franc et des campagnes ciblées sur fond de culture rock gentillette. « Elle s’habille en jeans et sort en bandes ! » martèlent les pages de pub. « Oh la belle 205 Junior, à l’intérieur plus personne t’ignore ! » chante dans le film télé un émulateur de Johnny sur l’air d’ « Elle est terrible ». Le réseau Peugeot a même distribué une cassette audio !
Initialement limitée, cette série spéciale devient rapidement un modèle permanent. L’offre s’élargit en juillet 1987 à une version 5 portes puis à une diésel, proposée dans les deux silhouettes, début 1992. Le blanc Meije et le gris Futura sont rejoint à la mi-89 par le rouge (fuschia ?) puis par le bleu Miami en mars 1992.
Au second semestre 1990, Peugeot dédie à la 205 Junior un troisième film publicitaire particulièrement esthétique, réalisé par Jean-Bapiste Mondino et filmé comme à son habitude en noir et blanc. Point ici de James Bond en GTI aux sports d’hiver, l’anti-héros à l’air plutôt simplet et se balade en Junior sur une interminable route désertique. Il stoppe soudain la 205 devant une bande de trois auto-stoppeuses en cuir tout droit sorties du mythiques film « Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! ». Sans un bruit, le trio prend lascivement place à bord de la voiture. L’une des filles lance au conducteur : « à toi de jouer maintenant ! » alors qu’un gang de motards grossit dangereusement dans le rétroviseur. La 205 démarre alors sur les chapeaux de roue pour l’annonce de fin. Le film, décliné en affiches et en annonces presse, puis réutilisé au printemps 1992 pour la campagne de la Junior diésel, a fait date. Il a même été parodié par Les Nuls, lesquels en ont livré une fin « alternative » peu reluisante. Au volant de la « Pigeot 265 », Dominique Farrugia n’arrive pas à redémarrer et les bikers agressent sauvagement les passagères…
En 1991, année où la 205 se classe pour la dernière fois en tête des modèles neufs immatriculés en France, la Junior est la 205 la plus vendue avec 24,8 % des ventes dans l’Hexagone. Peugeot annonce une production de 385.173 exemplaires fin-91, un record pour une série spéciale, illimitée pour le coup ! Ce succès a bien sûr inspiré la concurrence. En septembre 1989, alors que le Losange et le Lion luttent pour le moindre sous-segment de la catégorie des citadines, Renault reprend à son compte le concept de la 205 Junior le temps d’une série limitée de Supercinq Blue Jeans sans précision de tirage. « Renault invente le premier blue jeans qui roule » annonce la publicité, sans crainte l’anachronisme, 28 ans après la concrétisation en série de l’idée initiale de Pierre Dreyfus. Basée sur l’ascétique version Five animée par le Cléon fonte de 1108 cm³ et dépouillée de protections latérales, la Blue Jean apporte des couvre-jantes blancs (ceux de la finition GT modèle 87 à 88), des bandes décoratives adhésives avec décor de fermeture éclair, des logos Blue Jeans sur les ailes avant et le hayon et un essuie/lave-vitre arrière. Sans oublier la boîte 5 vitesses, ordinairement optionnelle, que ne propose pas encore la 205 Junior. Elle est disponible en blanc 348, rouge 719 et bleu Lumière 495, la teinte phare des publicités et photos de presse pingrement facturée en option. A bord, elle a l’originalité de combiner la planche de bord simplifiée de l’Express, signe distinctif de Supercinq Five, au volant de la TL. Un autoradio Philipps à façade extractible s’ajoute à la dotation de série. L’expérience se limite à une seule série…
Courant 1991, Seat lance sur les marchés espagnols et allemands une Seat Marbella Jeans. Une seule couleur : un bleu denim avec des voiles de roues blancs. Le jean de la sellerie s’étend en façade de planche de bord jusqu’au hamac vide-poche hérité de la Fiat Panda. Comme un vrai jean, les sièges (avec appuis-tête) comportent des étiquettes en cuir fauve sur leurs dossiers et des poches latérales à rivets. Motorisée par un modeste moteur 850 cm³, cette Panda ibérique est au moins correctement protégée par de larges protections latérales, pour l’heure interdites aux voitures blue jean françaises. En dépit du rachat de Seat par Volkswagen, la Marbella doit encore tout à Fiat, ce qui n’empêche pas la publicité allemande d’évoquer très sérieusement « des standards de qualité VW ».
Au delà, la concurrence va s’adresser à la jeunesse sous d’autres formes (Polo Collège, Corsa B Joy, Supercinq Campus et Carte Jeune, Twingo première collection…) et laisse à Peugeot le sous-segment de la voiture jean. Après six ans de présence au catalogue sans interruption, la 205 Junior subit un renouvellement de sa présentation à la rentrée 1992. Au menu, nouveaux logos et bandes latérales, couvre-jantes Profil (inaugurés par la 309 GL éponyme), volet arrière sans « râpe ». A bord, on pousse le mimétisme avec le « 501 » jusqu’aux étiquettes « 205 Junior » de cuir brun cousues sur les dossiers et la languette rouge marquée « 205 » au lieu de « Levi’s ». Aux blanc Meije, rouge Vallelunga et bleu Miami s’ajoutent le gris Quartz et le bleu Polaire. La demande de 205 déclinant, Peugeot daigne fournir une horloge de bord, un essuie/lave-vitre et même une cinquième vitesse, en essence. Surtout, des pneus de 155/70 R13, apparus sur la Junior diésel, remplacent les misérables 135 sur la version essence…
Un an plus tard, à la rentrée 1993, la 106 Kid (gamin ou jeune, en anglais) reprend l’intégralité du concept 205 Junior. Elle est commercialisée en Italie sous la marque de jeans Lee dans le cadre d’un accord de cobranding. Levi’s ou Lee Cooper ont-ils été approchés ? Les 954 cm³ du petit moteur essence sont toujours là, les enjoliveurs Profil aussi, mais des baguettes de protection ceinturent enfin la caisse, le jean a droit à des passepoils jaunes et les fonds des compteurs s’assortissent à la sellerie. Le logo bavard indique « Kid / Special edition by Peugeot / Seats five / Drive clean ». Il singe l’étiquette d’un jean sur les contre-porte et le volet arrière. Nouveauté : le noir Onyx rejoint l’emblématique blanc Meije et le rouge Vallelunga. Dans un second temps, le client pourra choisir un jean vert pour les sièges et les compteurs en fonction de la couleur de la caisse. Essence ou diésel, la Kid va perdurer dans la gamme 106 jusqu’au printemps 1998 où la plus ordinaire Open prend le relai.
Ce qui nous fait en cumul douze ans de voitures blue jean chez Peugeot !
Avant la 205 Junior, en 1985, PSA avait sorti un autre véhicule équipé avec un intérieur en jean: la Talbot Samba Bahia! Seulement disponible en Bleu Ming métallisé. Striping bleu, rose et vert, même sur les enjoliveurs (type Profil) en couleur caisse!