Un jour, des voitures : Jaguar XJ-S recarrossées

Jan 9, 2022 | À la une, Actus, La fabrique de Young

La Jaguar XJ-S, à l’honneur ce mois-ci dans notre expertise (Youngtimers n°127), a connu des débuts difficiles notamment en raison de son esthétique. Dès lors, les initiatives extérieures n’ont pas manqué pour rhabiller avec plus ou moins de bonheur cette grosse GT controversée…

Texte : Laurent Berreterot

A défaut d’être un jour noir pour les Ferrari 365 GT4 2+2 et Mercedes 450 SLC, le 10 septembre 1975 est une date cruciale pour Jaguar qui dévoile la remplaçante de sa mythique E-type. A la surprise générale, la nouvelle voiture s’appelle « XJ-S » (avec un tiret dans un premier temps) et non F-type comme la logique l’aurait voulu. Malgré le « S », cette grosse GT à moteur V12 faite pour les 250 km/h a oublié le sport. La formule roadster tombe également à l’eau au profit de la seule silhouette fermée alors que la Type E a proposé les deux presque jusqu’au bout. A la décharge de Jaguar, les normes de sécurité américaines compliquent la conception des carrosseries ouvertes. Beaucoup les ont cru d’ailleurs condamnées à l’époque de la conception de la XJ-S (l’avenir prouvera que non, y compris chez Jaguar). Par ailleurs, la Type E avait déjà anticipé l’embourgeoisement à venir en adoptant dès 1971 le seul V12 à la place du mythique six cylindres en ligne XK. Enfin, si la XJ-S a proposé d’office le choix entre boîte automatique 3 rapports et manuelle à 4 rapports, la clientèle, principalement américaine, a plébiscité la première option jusqu’à provoquer l’abandon de la seconde, en 1979. Ce qui n’a pu que conforter les décideurs de Jaguar dans leur stratégie.

Bien sûr, on a pointé la voracité du V12 en pleine crise de l’énergie, même si celle-ci n’a épargné aucune grosse cylindrée. « La consommation à 120 km/h n’est que de 18 litres environ » annonce très sérieusement le catalogue de 1975 ! Un gros travail sur les chambres de combustion permettra d’atténuer le problème en 1981. Néanmoins, et à la différence des XK120, Type-E ou XJ6, le problème de la XJ-S vient essentiellement d’une esthétique qui ne fait plus l’unanimité. L’Automobile exprime en ces termes ce sentiment de déception dans son numéro spécial salon d’octobre 1975 : « Lors de la présentation officielle du nouveau modèle à l’usine, quand fut ôté le voile qui le cachait à nos yeux, nous étions loin du choc ressenti lors de notre premier contact avec la « E ». Le nouveau modèle, moins agressif, moins évocateur de compétition, et, surtout, moins original, nous a laissés sur notre faim. La « S » n’est pas laide, elle ne passera pas inaperçu, mais ce n’est qu’un coupé 2+2 destiné à un genre de clientèle différent de celui de la « E », sans aucun doute. »

La carrière commerciale de la XJ-S tourne dans un premier temps au flop. Après un pic de 3 890 unités en 1977, la production annuelle s’effondre pour tomber à 1057 exemplaires à peine en 1980, année où Jaguar envisage sérieusement de tout arrêter…

Entre-temps, les tentatives de remodeler cette GT controversée se sont multipliées chez les petits artisans, « tuners » et autre carrossiers de renom, jamais avares d’un appel du pied aux grands constructeurs. La première proposition, radicale, vient de Bertone, lequel présente en mars 1977 le prototype de salon XJ-S « Ascot » à Genève. L’atypique maison turinoise avait déjà réalisé plusieurs carrosseries spéciales sur base de XK150, dans les années 1950, ou encore en 1967 une étrange « Pirana », véritable brouillon de la future Lamborghini Espada (voir Youngtimers n°124), sur un châssis de Type-E. Ici, sur une plate-forme raccourcie de 20 cm au niveau de l’empattement, l’Ascot tire profit d’un bien meilleur rapport habitabilité-encombrement que celui de la XJ-S ainsi que d’un hayon. Est-ce ce que demandaient les déçus de la XJ-S ? Même question pour le style en coin, issu de la berlinette Ferrari 308 « Rainbow » , vue à Turin l’année précédente, et que son auteur, l’inévitable Marcello Gandini, a adapté à la 4-places à moteur avant. Proue acérée sans calandre classique, phares escamotables, passages de roues en trapèze à l’avant et semi-carénés à l’arrière, lunettes arrière plate et pentue façon Lamborghini Jarama : cette voiture s’éloigne totalement de l’univers Jaguar. Tout comme l’habitacle, redessiné dans le même style « origami », qui se pare d’Alcantara des fauteuils au plafond. On y reconnaît tout juste le combiné d’instrumentation de la XJ-S d’origine. A l’instar de la Dino 308 GT4, laquelle ressemble beaucoup plus à une Lamborghini qu’à une Ferrari, Bertone casse à nouveau les codes sans respecter les gènes de la marque. Stratégie perdante avec une maison traditionnelle comme Jaguar ! Après au moins une repeinture, chose fréquente chez les prototypes de salon italiens de l’époque, et une tournée des salons, l’Ascot tombe dans les poubelles de l’Histoire. Bertone essaiera de vendre son style tranchant à des firmes aussi éloignées que Reliant (FW11, Birmingham 1977) et Volvo (343 Toundra, Genève 1979) avant de concrétiser les choses en grande série avec Citroën. Eh oui, les lignes de la célèbre BX ont été d’abord expérimentées sur une Jaguar !

Aux antipodes de Bertone, Pininfarina symbolise l’élégance classique. En 1975, Jaguar a d’ailleurs sollicité la célèbre maison turinoise pour restyler la berline XJ, après un premier appel du pied adressé par Pininfarina via une séduisante étude de berline, la XJ12-PF, en 1974. De sa propre initiative, le carrossier-concepteur propose à son tour sa réinterprétation de la XJ-S en octobre 1978 au salon de Birmingham. Elle s’appelle XJ Spider et renoue avec les voitures ouvertes d’antan sans se réduire pour autant à un simple pastiche néo-classique. Malgré l’entrée d’air ovale à la Type-E, la ligne de caisse ondulante et la longue poupe tronquée façon Corvette (un clin d’œil à la potentielle clientèle américaine ?) ses formes extrêmement fluides se nourrissent des dernières recherches menées par Pininfarina lors de l’étude CNR-PF, une maquette aérodynamique idéale (mais irréaliste) au Cx de 0,17. Le contexte de crise énergétique se prête à ce genre de préoccupations à une époque où Pininfarina s’enorgueillit de posséder sa propre soufflerie.

Les italiens annoncent pour la XJ Spider un Cx de 0,36. Des détails comme le nez rapporté parfaitement intégré au volume de la carrosserie ou l’habitacle très épuré au mobilier sans discontinuité paraissent toujours modernes, plus de quarante ans après. Malgré ses formes sensuelles, ce prototype non fonctionnel, dessinée par Elio Nicosa sous la direction de Leonardo Fioravanti, ne rallie pas tous les suffrages au salon de Birmingham. La faute à sa teinte vert anglais qui le lui rend pas justice ? A son empattement encore trop important pour une biplace ? Ou à sa ressemblance avec une Corvette C3 cabriolet vue de profil ? Toujours est-il que la voiture est repeinte l’année suivante en gris métal et rendue fonctionnelle. Des journalistes ont même le privilège de conduire ce qui reste, techniquement, une XJ-S automatique raccourcie. Rainer Schlegelmilch, photographe bien connu pour son travail sur les prototypes italiens des années 1970, en a livré de superbes clichés.

Pas plus que l’Ascot, la XJ-S Spider n’a connu de suite en série, mais elle n’a pu ne pas retenir l’attention de Browns Lane. On en trouve d’ailleurs quelques réminiscences dans des réalisations internes de Jaguar comme les prototypes XJ41/42, un projet de remplaçante de la XJ-S entamé au début des années 1980 puis ajourné par Ford, mais aussi l’Aston Martin DB7 qui en découle, la XJ220 voire même la XK8, commercialisée en… 1996 !

On doit une autre tentative au crayon de William Towns, designer britannique indépendant que l’on connaît surtout pour l’incroyable Aston Martin Lagonda (voir Youngtimers n°91) ou la Bulldog, mais Towns n’a pas commis que de futuristes voitures-origami. En 1989, il tente de relancer la marque Railton, disparue avant-guerre, avec un associé ayant fait fortune dans le propane. Le projet consiste en réalité à recarrosser une XJ-S cabriolet. Towns y songe depuis longtemps si l’on se souvient de son dessin de XJ-S modernisée montré dans un programme télévisé de 1980. Pour sa nouvelle Railton, il conserve toute la cellule centrale, les portières, les rétroviseurs et le pare-brise de la Jaguar. Il redessine tout le reste dans un style « bio » très intégré, beaucoup plus dans l’air du temps que la voiture de base, mais non sans contradiction. Si la découpe en amende des phares encastrés sous paupières appartient aux années 1990, les feux en double bandeau rappellent la Lagonda des années 1970. Après avoir présenté la voiture au salon de Londres de 1989, William Towns annonce en 1991 un objectif de production de 50 exemplaires pour un prix unitaire de 100 000 livres Sterling, deux fois supérieur à celui d’une XJS cabriolet. Aussi cher qu’une Rolls ou une Bristol et même d’avantage qu’une Ferrari 348 ! Sans surprise, l’aventure tombe à l’eau et on ne dénombre que deux voitures construites, la F28 Fairmile et la F29 Claremont. La seconde possède des carénages de roues arrières que n’a pas la première, voulue plus sportive et dotée d’une monte pneumatique plus généreuse. La F29 a appartenu à William Towns jusqu’à son décès en 1993. Revendue par sa veuve, elle est réapparue sur le marché lors d’une vente aux enchères en 2019…

Lynx, Lister, Koëning, Autostyle, Paul Bailey, etc. On pourrait multiplier longtemps les exemples de XJ-S plus ou moins recarrossées. Le dessin originel était-il donc si raté ? Je ne vois pas en tous cas d’autres GT européennes ayant fait l’objet d’autant de remodelages externes. Malgré tout, la XJ-S a bénéficié d’une efficace relance sous l’impulsion de John Egan, le sauveur de Jaguar, dans les années 1980. L’optimisation énergétique du V12 en 1981 et l’ajout d’un six cylindres en ligne de 3,6l, moins vorace et à peine moins performant, en 1983, ont permis aux ventes de croître à nouveau avec le renfort d’un cabriolet, d’abord partiel, puis intégral, en 1988. Et puis, Jaguar est revenu au Mans. Victorieux, comme à la grand époque ! Ainsi, la XJ-S a atteint son apogée commerciale en 1989 avec un pic de 10 665 exemplaires produits. L’aventure va durer jusqu’en 1995, les compteurs s’arrêtant à 112.052 unités. Performance à comparer aux 72 584 Type-E !

 

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