En 1979, les berlines familiales règnent sur la route des vacances, mais à la différence d’aujourd’hui, les constructeurs affichent des partis-pris techniques et esthétiques parfois très éloignés. Particulièrement dans la catégorie centrale des 7 CV où notre client type peut hésiter entre la toujours atypique GS et la plus récente quoique très classique 305. Laquelle choisir ?
Texte et photos : Laurent Berreterot
Au salon 78, la 305 GL de base coûtait 28.700F, soit à peine 1100F de plus que la GS 1220 Club, de finition intermédiaire (de loin la plus vendue). Au-delà, difficile de croire qu’elles émanent d’un même groupe automobile ! En 1979, les synergies industrielles consécutives à la création (récente) du groupe PSA Peugeot-Citroën sont à vrai dire encore réduites. Mis-à-part les Citroën LN(A) et Visa plus ou moins dérivées de la Peugeot 104, chaque marque reste fidèle à son patrimoine technique, esthétique et culturel, moderniste pour l’une, conservateur pour l’autre. Chacune conserve du reste un cœur de clientèle bien typé, attaché à sa marque comme à son garage local, parfois de père en fils, même si le marché se fait tout de même plus ouvert et volatile qu’au temps où Fernandel et Jean Gabin s’écharpaient poliment à propos de la DS et de la 404 dans l’Age Ingrat !
Vous aimez le beigeâtre ? Ivoire ou beige Nevada, nos deux rivales affichent des teintes typiques des goûts de l’époque. Pour le reste, la silhouette bicorps aérodynamique de la GS a contribué à rafraîchir la physionomie ennuyeuse des berlines familiales en 1970, à l’instar des Lancia Beta, Volkswagen Passat et Chrysler-Simca 1307/1308 qui ont suivi. Néanmoins, la formule tricorps reste fermement ancrée dans le segment comme en témoignent, au salon 78, les Renault 18, Fiat 131, Ford Taunus, Opel Ascona, Audi 80 et autres Honda Accord. Sans surprise, Peugeot reste dans le camp conservateur avec la 305 dont la carrosserie marque une augmentation de 40 % de la surface vitrée par rapport à la 304, laquelle n’a jamais été qu’une 204 agrandie aux extrémités, un peu plus puissante et cossue. En revanche, la traction avant, longtemps portée par Citroën seul, a gagné du terrain. Y compris dans les gammes moyennes et inférieures de chez Peugeot.
Les français connaissent la GS depuis déjà plus de sept ans lorsque sort la 305 en novembre 1977. La presse a unanimement salué son esthétique, un mélange bon chic bon genre de Fiat, de Mercedes et de BMW. Après la curieuse malle pincée de la 504 et les volumes de boîte des 304 et 104, une telle unanimité est alors nouvelle s’agissant d’une berline Peugeot, dessinée, rappelons-le en dehors des studios de Pininfarina. Si la 304 jouait les petites 504 avec son regard à la Sophia Lauren on a plutôt comparé la 305 à une petite 604 en raison de ses volumes, de sa face avant ou de la gouttière de toit prolongée jusqu’à l’extrémité arrière du pavillon. La 305 a d’ailleurs connu un départ en fanfare marqué par des délais de livraison de plus six mois en 1978 et une très belle troisième place au classement des modèles neufs préférés des français en 1979, quand la GS tombe à la neuvième place non sans avoir dépassé le cap du million d’exemplaires l’année précédente. L’imminente GSA s’apprête toutefois à donner un nouvel élan à la Citroën 6/7 CV au salon 79 et la fameuse cinquième porte autorisée par sa forme bicorps. Mais sous sa forme originale, la fluidité aérodynamique de la GS lui confère toujours une personnalité bien à elle, de même que le meilleur Cx de la catégorie : 0,37 au lieu de 0,42 ! Chez Citroën, la fonction détermine la forme. Chez Peugeot, c’est plutôt la mode : la calandre agressive inclinée vers l’avant, façon BMW ou Fiat, et les feux striés à la Mercedes jouent sur l’air du temps.
Sept ans après sa sortie, la GS rassemblait encore une quantité impressionnante de perfectionnements dans ce segment de compromis : traction avant (on l’a dit), pivot de direction dans l’axe des roues, suspension oléopneumatique avec correcteur d’assiette, voie arrière plus étroite qu’à l’avant, moteur 4-cylindres à plat refroidi par air, bloc aluminium, quatre freins à disques embarqués à l’avant et assistés par haute pression. Il s’agissait de surcroît, en 1970, d’une voiture intégralement nouvelle mise sur le marché en un temps record : un peu plus de deux ans ! La 305, elle, marque le troisième et dernier volet d’un cycle technique commencé en 1965 par la 204 dont a dérive la 304 en 1969. La 204 était également 100 % nouvelle à ses débuts et a multiplié les premières chez Peugeot : traction avant, 4-cylindres en ligne transversal à arbre à cames en tête, bloc aluminium et boîte intégrée au carter, quatre roues indépendantes. Rien d’extraordinaires pour un citroëniste, pourtant toutes les concurrentes n’en alignent pas autant au salon 78 !
A bord, on sent l’influence BMW dans la haute visière d’instrumentation de la 305, mais Peugeot a toutefois banni le noir au profit d’une belle association de beige considérée comme cossue à l’époque, les teintes de carrosserie froides donnant lieu à une harmonie intérieure bleue. Beaucoup plus singulière, la GS a conservé la planche de bord sculpturale des débuts, qui n’est pas sans rappeler celle de la SM, Notre modèle 79 a cependant perdu l’instrumentation futuriste au profit de classiques compteurs circulaires, de même que les originales poignées d’ouverture de porte en forme d’escargot (d’origine Ami 😎, remplacées ici par des éléments pauvres d’aspect, sans rapport avec les très élégants loquets chromés de la 305. Celle-ci profite de 12 cm de longueur en plus et 7 cm d’empattement supplémentaire, chose facilitée par le moteur transversal, au bénéfice de l’habitabilité. Ses sièges procurent même un moelleux supérieur. Le volume des coffres est quasiment identique et si la GS ne dispose pas de la cinquième porte de la GSA, son seuil de chargement se trouve à hauteur de pare-choc. Du reste, on retrouve les dadas respectifs de chaque marque : volant monobranche positionné à 7h40 roues droite, station de conduite genre sofa et autoradio à chercher entre les sièges pour la Citroën, commandes inversées sur la 305, avec la tige de clignotant à droite et le Neiman à gauche, mais clignotant qui ne revient pas automatiquement sur la GS.
Le typage de chaque marque se retrouve dans le bruit des moteurs. Côté Citroën, le bourdonnement typique de grosse 2CV s’approche (un peu) de celui d’une Alfasud dans les tours. La 305 a conservé des 204 et 304 l’entêtante sirène de la pignonnerie unissant le moteur à la boîte située juste en dessous. Ce n’est pas la « triplette » de la 104 puisque qu’il n’y a que deux pignons, mais le principe est le même et le niveau sonore supérieur à celui de la GS jusqu’à moyen régime. Les 1015 cm³ de la GS originelle de 6 CV paraissaient un peu tendre face aux « 1300 » des 304 et R12. Et encore, Claude Alain Sarre, le président de Citroën, a fait pression pour atteindre un nombre à quatre chiffres plus vendeur que les 947 cm³ initialement prévus ! Inutile de préciser que la clientèle a plébiscité l’évolution-moteur de 7CV et 1220 cm3 annoncée en septembre 1972. De 55,5 ch à 6500 tr/mn, le petit boxer grimpe à 60 ch à 5750 tr/mn, soit près de mille tours plus bas, de quoi gagner en onctuosité et en silence. Également classée en 7 CV, la 305 GL de base atteint 1290 cm³ pour 65 ch, soit l’horizon insurpassable pour une GS(A) dé série à moteur alternatif. Elle ne pèse que 25 kg de plus que la GS, soit 925 kg sur la balance.
Au volant, la 305 distille une impression de grande douceur tant au niveau de la direction, du freinage que du passage des vitesses. Une impression de plus grande vivacité aussi à bas régime conférée par une meilleure souplesse. La GS 1220 pêche encore par sa commande de boîte revêche avec une première et une seconde que l’on cherche trop sur la gauche. La pédale de frein sur-assitée et surpuissante n’est pas forcément un avantage, surtout en situation d’urgence, et on n’a pas profité du système hydraulique haute pression pour assister la direction, comme c’est le cas sur les DS depuis 1955. J’ai d’ailleurs trouvé le volant de la 305 plus léger, la démultiplication étant pratiquement identique. Sans surprise, la suspension oléopneumatique « refait la route » et ponctue le voyage en GS de légères ondulations, mais je ne l’ai pas trouvée fondamentalement supérieure au système métallique de la 305. Laquelle procure un confort au moins égal. Elle abolit les dos d’âne et filtre les irrégularités de la route avec une douceur étonnante et sans coup de raquette MAIS avec plus de remontées parasites dans le volant voire des secousses sur les pavés. Rien de tel avec la GS : c’est là l’intérêt du train avant à pivot dans l’axe où l’axe de pivot et de rotation de la roue coïncident. La Peugeot n’offre qu’une solution approchante dite à déport nul : l’axe de pivot de direction rejoint celui de la roue au niveau du point de contact du pneu avec le sol.
Côté performances, la GS profite de son meilleur Cx et d’un rapport poids-puissance un peu plus favorable pour franchir théoriquement la barre des 150 km/h et gagner une petite seconde à l’exercice du 0 à 100. La 305 accuse moins de roulis dans les enchaînements de ronds-points mais pêche par son niveau sonore vraiment pénible au-delà de 110 km/h. La GS se montre plus supportable à ses allures, sans doute aussi parce que le son du boxer est plus agréable dans les tours, mais peut-être pas sur les 550 bornes d’un Bordeaux-Lyon à toute berzingue…
Laquelle choisir ? En 1979, la clientèle a majoritairement opté pour la 305, effet nouveauté oblige. Depuis, comme tout modèle occupant le cœur du marché, nos deux rivales ont été produites et détruites en masse notamment lors des primes à la casse des années 1990. Leur image a longtemps tutoyé la ringardise voire la beauferie. La GS n’a connu qu’une tardive réhabilitation auprès des collectionneurs dans les années 2010 en raison notamment de sa sophistication inédite à ce niveau de gamme. La 305 ne sort qu’aujourd’hui du purgatoire, et encore ! La frilosité de ses caractéristiques et l’absence de versions coupés et/ou cabriolets continuent à la desservir. Je ne donnais pas cher d’elle face à la GS. Pourtant, je dois admettre qu’elle procure des prestations globalement égales voire supérieures en n’utilisant que des solutions techniques classiques. Eh oui, l’avant-garde ne constitue pas nécessairement le sésame concurrentiel absolu ! La preuve, la suspension oléopneumatique a rejoint le moteur rotatif, le train sur coussin d’air ou l’avion commercial supersonique dans la liste des inventions certes géniales mais aujourd’hui abandonnées. Ce comparatif m’a donc permis de redécouvrir la voiture de mes parents sous un jour plus favorable.
Victor, l’heureux propriétaire de la GS, ne reconnaît à la 305 qu’un seul gros défaut, son niveau sonore, mais il ne lâcherait sûrement pas sa Citroën pour une Peugeot ! Et pour cause, il est tombé amoureux des chevrons à cause de la Dyane de son père sur laquelle il a fait la conduite accompagnée. Et à 18 ans, il voulait déjà une GS à l’âge où la jeunesse désire généralement des choses plus violentes ou socialement acceptées par le groupe de pairs. Il s’est fait la main sur une LNA et a restauré une Acadiane avec son père tout en roulant au quotidien en C3 1.4 HDI de 2005. Après avoir hésité avec une CX finalement trop encombrante pour la vie urbaine, il s’est mis en quête de sa première GS. Une quête semée d’embûches qui rappellent combien l’espère a été décimée, mais finalement couronnée de succès avec ce modèle beige Nevada acquis en novembre 2021 à Limoges.
« Depuis 8 mois que je l’ai, j’ai déjà fait 10.000 km avec sans le moindre pépin » s’enthousiasme le jeune homme de 24 ans. « Le mix flat four-hydropneumatique est merveilleux. Jamais j’ai été fatigué de conduire même après des heures de route, je suis allé presque en Bretagne avec depuis Bordeaux. Et les balades ne sont pas prêts de s’arrêter. Elle a une côte d’amour absolument énorme ! C’est génial d’avoir toute la journée des appels de phares, des pouces, des gens qui t’arrêtent. Et quand ils la regardent de loin, ils attendent qu’elle se lève au démarrage, petit et grand ça les fascine ! »
Prime à l’originalité pour la GS ! Certes, mais des gens qui me font des appels de phares et me disent que leurs parents avaient la même voiture que moi, j’en croise aussi avec la 305 ! On en revient finalement au temps de Fernandel et de Jean Gabin où chacun avait sa marque de cœur et ses dadas de prédilections. Ce qui est une chose rassurante à une époque où la globalisation tueuse d’identité conduit à une uniformisation assez préoccupantes des goûts automobiles.
La Peugeot 305 est la première voiture dont une “relation” commune, alors âgée de quelques jours, ai eu son tout premier contact avec l’automobile…et le monde extérieur. Il a manifestement été très “marqué”…
Bravo pour votre revue et vos articles et l’humour qui ‘en dégage…Continuez !