En complément de notre expertise sur la Safrane, à relire ce mois-ci dans Youngtimers n°123, nous nous intéressons aujourd’hui à un exemplaire très atypique de la grande Renault, le break Long Cours créé par le carrossier picto-charentais Heuliez.
De la 203 à la 505, de la 11 CV à la XM, les grands breaks, que l’on appelait jadis limousines commerciales ou familiales, sont chez les constructeurs français l’apanage de Citroën et Peugeot. Renault n’y a jamais goûté directement et en est resté à la formule mixte des berlines semi-utilitaires, déclinée avec plus ou moins de succès de la R16 à la Safrane. Tout au plus note-on l’existence, dans les années 1980, d’ambulances R20 et 30 carrossées par René Baboulin ou de R25 transformées en « breaks de chasse » par EBS via la greffe d’une cellule à la place de la bulle de coffre.
En mars 1993, c’est par le plus grand des hasards qu’un des collaborateurs de Patrick Le Quément, directeur du design industriel chez Renault, remarque un dessin d’étude de Safrane break encadré sur le stand Heuliez au salon de Genève. Très dynamique d’aspect, ce break joue cette partition davantage sportive qu’utilitaire si appréciée par la clientèle aisée d’outre-Rhin. Or à l’époque, Renault nourrit encore de grandes ambitions (sinon de grandes illusions !) en haut de gamme avec sa récente Safrane dont la version V6 Biturbo de 260 ch à quatre roues motrices fait de l’œil aux propriétaires d’Audi 100 S4 ou de Mercedes E420. Le break Heuliez a suffisamment de pertinence pour que Le Quément demande au carrossier-concepteur picto-charentais de le prototyper à l’échelle 1 à partir d’une berline Safrane livrée par le constructeur. Le Monsieur design de Renault se déplace même en personne à Cérisay pour assister à l’avancée des travaux.
La voiture grandeur nature, à la partie arrière totalement inédite, s’écarte très peu du dessin originel dont l’Histoire n’a pas retenu le nom de l’auteur (si vous le connaissez, écrivez-nous !) Elle se caractérise par un usage audacieux de l’arc de cercle, pour la courbure nerveuse de la lunette arrière, l’étirement extrême des feux ou la découpe du toit vitré. De profil, les bas de caisse contrastés de gris aluminium amincissent l’étonnante silhouette bleu requin. Les jantes 17 pouces pouces et les éléments de carrosseries spécifiques de la Biturbo complètent la panoplie. Autant la berline Safrane, dessinée par Joji Nagashima, peut sembler fade et bedonnante à force de biomimétisme japonisant, autant ce break, baptisé Long Cours, paraît racé. A bord, c’est le grand luxe avec quatre fauteuils individuels multi-réglables, une sellerie en cuir bleu assortie à la carrosserie, des accoudoirs centraux escamotables à l’arrière, une cloison occultable électriquement séparant l’habitacle de l’espace de chargement ou une tablette électrique cache-bagage. En outre, l’auto dispose d’une boîte automatique, ce qui laisse à penser que le moteur est un V6 atmosphérique plutôt que le Biturbo, non disponible avec cette transmission. Heuliez entend « maximiser espace intérieur et esthétique générale, en associant le prestige d’une limousine, le dynamisme d’un coupé et la convivialité d’un break » et évoque la « sophistication d’un grand navire ». Renault autorise Heuliez à présenter la Long Cours sur son propre stand au Mondial de l’automobile de 1994, salon où le Losange expose l’extravagant Espace F1. L’auto y fait sensation et la petite histoire raconte que Mme Jacques Calvet aurait craqué pour cet exemplaire unique que le public, même fortuné, ne peut acheter.
Hélas, la Long Cours ne dépassera pas le stade du prototype du salon. Sitôt les lumières du Mondial éteintes, elle a rejoint les nombreuses études sans lendemain de la collection Heuliez, comme la SM Espace, la 405 coupé ou la BX break de chasse Dyana. A-t-on sérieusement envisagé son industrialisation chez Renault ? Jusqu’où est allé précisément le projet ? On n’a sans doute pas mis longtemps à constater que le succès des grands monocorps, dont le roi-Espace, a réduit les débouchés des grands breaks de marques généralistes à peau de chagrin. En 1992, Peugeot n’avait déjà pas donné de suite à la 505 break, laissant seul Citroën avec la remplaçante de la CX Evasion, la XM break. Malgré l’absence de concurrent français, ce sera un échec avec à peine 3000 exemplaires produits en 1993, dont une écrasante majorité a pris le chemin des pays nord-européens, grands consommateurs de breaks haut de gamme. On n’en compte au final qu’un peu plus de 31.000 unités, soit tout juste un dixième du volume global de XM. Inutile de préciser que le break Citroën, le dernier de son espèce produit en France, n’aura pas non plus de descendance…
A ce jour, la Long Cours reste la dernière proposition française de grand break à tendance luxueuse, après la Simca Marly, la 404 break Superluxe ou la CX Evasion Heuliez première du nom. On croit reconnaître sa croupe nerveuse dans la Mercedes Classe C break (S202) ou la Laguna II estate, mais sans plus. Le concept-car a refait surface en 2012 lors de la dispersion aux enchères des 43 licornes de la collection Heuliez dont on n’a hélas pu faire un musée à l’image de celui de Matra à Romorantin. Estimé entre 30 et 50.000 euros, il a trouvé preneur pour seulement 22.636 euros tous frais compris le 7 juillet 2012…
Nous lançons un appel à son actuel propriétaire : pour la postérité, pour l’Histoire, ne lui faite pas subir le sort de la 504 Riviera, ne la laissez pas des décennies à l’abri des regards bienveillants, accordez-nous le privilège d’un reportage !
Bonjour,
Petite erreur, ça n’est pas une base de Biturbo, mais de simple V6i 170.
Vous remarquerez le levier de commande de boite qui est un levier BVA, réservé au PRV atmosphérique.
En effet la boite AD8 ne peut résister au couple du Biturbo.
Ce proto a juste un kit carrosserie Biturbo, c’est tout !
Merci pour ces informations ! Nous avons corrigé cela.