Alors que l’Alfa 75 Turbo Evoluzione est à l’honneur dans notre numéro de rentrée, penchons-nous sur un genre presque aussi populaire que les GTI dans les années 1980, les familiales sportives. Et les constructeurs n’ont pas manqué d’imagination pour bolider les berlines à papa dans une surenchère de superlatif et d’accessoires quelque peu infantile !
On doit à Alfa Romeo l’invention de la « berline de famille qui gagne en compétition », dans les années 1950. Le concept commence à descendre en gamme avec la Giulietta TI, pour Turismo Internazionale, en 1957. BMW et Triumph emboîtent le pas à Alfa durant les Trente Glorieuses avec leurs 1600 et 2002 TI, 1500 TC (pour Twin Carburettor, double carburateur) ou autres Dolomite Sprint. A une époque où les plus de cent chevaux sont rares en grande série et les cinquième vitesses encore plus, deux arbres à came en tête et un carburateur double corps suffisent à faire la différence dans les courses de papas sur les Nationales. Côté décoration, les chromes ont encore cours, tout comme le vrai-faux bois, et les chevaux en plus se devinent surtout aux jantes « de style » dont la taille ne dépasse guère les 15 pouces. En 1977, la BMW 323i, première familiale à 6 cylindres, même si elle n’a encore que deux portes, marque un tournant, mais son prix demeure élitiste. La véritable démocratisation du genre ne commence qu’au début des années 1980 avec l’arrivée en masse des « Turbo » et autres « Injection », autant de superlatifs à la mode qui enterrent les TI, TC, S, Sport et autres Sprint.
En 1979, la Volkswagen Jetta GLI, une Golf tricorps équipée du moteur de la GTI, fait le trait d’union entre le monde des GTI et celui des berlines à coffre, mais c’est à Renault que revient l’honneur de lancer la première familiale turbocompressés de grande série, à la rentrée 1980. En Formule 1 comme sur la route, Renault a fait du Turbo son cheval de bataille, de la bombinette R5 Alpine au tracteur de poids lourds R310. La R18 Turbo, démocratise le mot magique dans la catégorie des Saab 99 Turbo et Volvo 240 Turbo. La formule est simple. Mariez une plate-forme peu coûteuse à fabriquer de R12 à un moteur 1,6l turbocompressé tirant 110 ch. Habillez le tout d’une carrosserie moderne, décorez-la d’un béquet arrière enveloppant la poupe, de décors adhésives suggérant la vitesse et de belles jantes très « design ». Soignez l’intérieur à coup de sièges pétale chatoyants, de touches cuir sur le volant sport et de manomètres supplémentaires. Saupoudre le tout de marquages « Turbo » un peu partout, et vous obtiendrez à peu de frais un cas d’école. De quoi ringardiser la pauvre Peugeot 305 S, qui n’offre qu’un carburateur double corps, 4 vitesses et 89 ch sous une décoration type troisième âge ou la Citroën GSA X3 dont le quatre-cylindres à plat plafonné à 1300 cm³ n’a jamais dépassé les 65 ch !
Outre-Manche, Rover déterre en 1984 le sigle Vitesse, piqué à Triumph entre-temps disparu, pour sa compacte tricorps clonée de la Honda Ballade. L’importateur française la rebaptise prudemment 216 SE EFI (Electronic Fuel Injection) dans un pays où la vitesse est aussi taboue que les pollutions nocturnes dans une famille religieuses traditionaliste… Parallèlement, la marque MG, en dormance depuis l’arrêt de fabrication de la MGB, en 1980, est réemployée pour les versions vitaminées des Austin Metro, Maestro et Montego. Toutes ont droit au sésame ultime, une déclinaison Turbo avec, sur la Maestro, un kit carrosserie suggestif. Une Montego 2.0 GTI – qui ne porte ni la marque Austin ni celle de MG ! – est proposée brièvement entre 1987 et 90. En dehors de ce cas et de la Citroën BX 19 GTI, personne n’ose le mariage entre GTI et berline. Au lieu de cela, on multiplie les sigles plus ou moins abscons, particulièrement outre-Manche, pays où les berlines de fonction sont une institution et les sigles HL, HLS, GL, GLS, GLSi, SI, SRI ou CD, autant de marqueurs sociaux entre Austin Montego, Ford Sierra ou Vauxhall Cavalier (l’Opel Ascona locale). Problème pour l’égo de certains, Vauxhall n’appose l’indicatif de finition que sur l’aile avant. Heureusement, le chiffre de cylindrée, le plus important, prend toujours place à l’arrière, comme un avertissement pour tout prétendant aux courses de papas pressés. Histoire que nul n’ignore qu’une « Sierra 2.0i GLS » surclasse une « Sierra 1.6 L » , Ford utilise à l’arrière de ses berlines une typographie futuriste traversée d’un laser digne de l’affiche du film Blade Runner ou du logo d’Orion Pictures ! Orion est d’ailleurs le nom de la Ford Escort tricorps. Sa version de pointe, l’Injection, emprunte aux GTI ses bandes rouges ceinturant la carrosserie. La publicité la qualifie très subtilement d’ « oiseau de foudre », clin d’oeil à la Ford Thunderbird américaine, dans la presse française….
Plus spectaculaire avec son aileron arrière « pelle à tarte », la Sierra RS bénéficie du patronage de Cosworth, très porteur au pays de naissance de la F1, tout comme son ancêtre Cortina avait été dévergondée par Lotus. Première familiale sportive de série à atteindre le cap des 200 ch, avec la BMW M3 sortie comme elle en 1986, elle ne fait pas dans l’esbroufe puisqu’elle sert à homologuer son pendant de course en Groupe A. Si la Sierra RS Cosworth arrive d’abord sur le marché sous la forme d’un coach 3 porte, elle mue en 1988 en classique tricorps à quatre portes, appelée Sierra Sapphire Cosworth outre-Manche ou Sierra Cosworth partout ailleurs. Elle cumule à partir de 1990 le nouveau superlatif de 4×4 à l’occasion de son passage à 220 ch. Et pendant que Papa essaie de faire la course avec d’autres grands gamins plus avancés dans l’échelle sociale et que Maman s’exaspère, les enfants, à l’arrière, jouent aux cartes de voitures, les fameux jeux d’atout. Vous vous souvenez ? Cylindrée, puissance, accélérations, les futurs détenteurs du permis préparent les futures joutes automobiles sur la banquette arrière ! En matière de surenchère, rien ne vaut les sigles compliqués exhibés par les modèles japonais. Dans les années 1980, les portes de coffre et flancs des Toyota, Honda, Nissan et autres Mitsubishi sont de loin les plus « bavards » : DOHC 16-Valve, 4WD, 4WS, A.L.B., etc.
Entre-temps, tout le monde ou presque s’est mis à la familiale sportive. Selon Peugeot, ce sous-segment de la catégorie M2 (100 ch minium, cylindrée de 1,6 à 2l) a cru de 400 % de 1978 à 83 ! Après la trop timide 305 S, le Lion ose en 82 une « GT » au demeurant guère plus sportive que la Citroën BX 16 TRS avec laquelle elle partage son nouveau moteur 1,6l XU5 S de 90 ch. Une 305 GTX, qui, selon la pub, « va étonner les GTistes », suit au salon 84, avec un moteur 1,9l XU9 S, 105 ch et une boîte à l’étagement plus sportifs partagés avec la BX 19 qui en reste, elle, au sigle GT ! Prochaine étape, le passage à l’injection. La 305, trop ancienne, n’aura pas droit à sa GTI, mais la BX, oui. La décoration rentre dans le rang par rapport à la BX Sport et le moteur XU9 J2 développe 5 ch de moins que dans l’emblématique 205 GTI 1.9. Elle est très vite occultée par une version 16 Soupapes, ou 16 Valve pour l’exportation. Le doublement des soupapes par cylindres, initié en 1983 par la Mercedes 190 E 2.3-16 (à vos souhaits), démocratisé par les japonais, sert de levier à l’offensive des familiales sportives françaises de 1987, la BX GTI 16 Soupapes et Peugeot 405 Mi16. Après une longue attente, leurs 160 ch rageurs n’ont pas déçu. La Régie Renault, elle, reste fidèle à la suralimentation via une très brillante R21 2l.Turbo de 175 ch procurant des performances voisines d’une BMW 325i bien plus coûteuse…
Pendant ce temps, Alfa Romeo, l’initiateur du genre, s’est quelque peu endormi et n’a il est vrai plus les moyens de développer une voiture entièrement nouvelle. La Nuova Giulietta revampée en Alfa 75 en 1985, fait perdurer propulsion, essieu De Dion et boîte-pont selon le principe « transaxle » emprunté à l’Alfetta de 1972 alors que le mythique bloc à double arbre remonte toujours aux années 1950. Malgré ces vieux éléments, la firme d’Arese a su redonner la Foi aux alfistes grâce à la sportivité retrouvée des 75 Turbo et V6. Ces versions de pointe provoquent même un beau sursaut et un pic de production à 72.684 exemplaires en 1988 pour l’Alfa 75 !
Au delà de la catégorie des familiales, la mode des berlines sportives aura concerné à peu près tous les constructeurs. Même Rolls-Royce a lancé sous sa marque Bentley une berline très rapide, la Turbo R pourvue de jantes en alliage (une première chez Rolls !) voire, sur demande, d’une sellerie à passe-poil rouge ! A l’autre extrémité de l’échelle sociale, on a également vu des Lada Samara GLS/GLX au kit carrosserie et aux jantes « sport » assez réussies. Cette initiative de l’importateur français ne modifiait cependant en rien la mécanique ni l’équipement spartiate de ces voitures venues du pays de l’égalitarisme forcé !
Texte : Laurent Berreterot
Joli panorama ! Et quel plaisir de revoir toutes ces pubs des années 80.
J’imagine (ou plus exactement je n’imagine pas du tout) le tollé que susciterait la pub pour la Dolomite en 2021 hahaha).
Chouette article, merci !