Portées par le carrossier Bertone et son premier crayon, Marcello Gandini, les silhouettes à angles vifs font une percée dans les années 1970 et 80, des GT de rêve à la célèbre Citroën BX, essayée dans notre n°121. Son dessin controversé a toutefois connu un parcours tumultueux avant d’inonder nos rues…
Son vocabulaire esthétique nous ramène à la Ferrari 308 GT4 Rainbow, prototype du salon de Turin 1976, pour les passages de roue, trapézoïdaux à l’avant, en biseau à l’arrière, ou à la Jaguar XJS Ascot du salon de Genève 1977, pour les mêmes éléments ainsi que le pan coupé à la serpe de la poupe. Une caractéristique radicale déjà présente en 1969/70 sur d’autres créations « gandiniennes », l’Iso Rivolta Lele ou la Jarama, Lamborghini controversée, mais préférée de Ferruccio, commercialisée en petite série. Elle inspire dans une certaine mesure la Faena, réalisation unique du carrossier Frua basée sur un châssis d’Espada et montrée à Turin en 1978 (voir Youngtimers n°111).
Gandini se nourrit de toutes ces études lorsqu’il dessine la FW11, une berline familiale à deux volumes commandée par le petit constructeur Reliant désireux de s’extraire de la niche très britannique des véhicules à trois roues. Avec cette FW11, Reliant entend promouvoir son ingénierie dans la fibre de verre à l’intention de firmes émergentes incapables de financer seules les très coûteuses presses d’emboutissage. La société turque Otosan/Anadol se montre intéressée. Deux prototypes fonctionnels badgés Anadol sont envoyés en Turquie. Jugé encore trop coûteux à produire, ils ne connaîtront aucun débouché en série. Reliant récupère le projet à son profit. L’un des deux autres prototypes restés en Grande Bretagne est exposé au salon de Birmingham 1977 sous le nom de Reliant Scimitar SE 7. Sans lendemain industriel là-aussi.
Le même dessin très typé est recyclé pour le prototype Volvo Tundra, toujours dessiné par Gandini et exposé par Bertone au salon de Genève 1979. Cette fois-ci, il n’y a plus que deux portes. L’essieu rigide et les ressorts semi-elliptiques de Volvo 343 contrastent violemment avec la modernité de ce break de chasse, clin d’œil évident à l’histoire de Volvo. On en retiendra l’entrée d’air asymétrique, sous le pare-choc avant, les inévitables phares escamotables et le tableau de bord entièrement digital surmonté d’une casquette. La R11, pour laquelle Gandini collaborera, n’est pas loin ! Sans doute trop audacieuse pour une Volvo, la Tundra n’aboutira pas et le suédois a sans doute perdu là une occasion de dynamiter son image vieillotte et ennuyeuse. On retrouvera cependant l’idée de la calandre intégrée à la jupe sur la 480, première Volvo moderne à traction, à l’horizon 1986…
La Tundra a surtout provoqué la fureur de Citroën car ce prototype de salon révèle avec trois ans d’avance le dessin de la future familiale aux chevrons, codée « XB » et confié également à Bertone ! Le célèbre carrossier-concepteur turinois avait déjà réalisé un unique coupé GS Camargue, exécuté par Marc Deschamps pour le salon de Genève 1972. Entre-temps, le départ brutal de Robert Opron qui laisse le centre de style Citroën sans chef d’orchestre entre 1974 et 80, a favorisé le rapprochement avec Bertone. L’affaire Tundra n’a pas compromis la collaboration franco-italienne autour de la BX, que Citroën dévoile à Paris en 1982. Marcello Gandini ayant quitté Bertone en 1980 pour s’installer à son compte, c’est Trevor Fiore, le nouveau patron du style Citroën, qui mène le projet à son terme. Pour Citroën, Fiore a aussi dessiné l’hallucinante maquette de style Karin, étrange coupé triplace à direction centrale dont le profil tient davantage de la pyramide que de l’automobile. Cette maquette futuriste s’est laissée admirée (?) au salon de Paris 1980, à quelques mètres de l’anachronique 2CV Charleston. Quel choc temporel ! Pour l’ex-quai de Javel, l’esthétique cunéiforme rompt avec les profils de Zeppelin des SM, GS et CX. Rainbow, Ascot, FW11 ou Ascot : toutes ces études se retrouvent dans la BX. Ce style tranché, bien dans son époque, permet à Citroën de recouvrer toute son idiosyncrasie après les incertitudes et les compromis douteux (LN, Visa…) ayant suivi le rachat par Peugeot. La confiance revient, le succès aussi.
Au milieu de la décennie 1980, la BX représente à elle-seule la moitié de la production de Citroën et se classe régulièrement dans le trio de tête des immatriculations en France. Ce que les moqueurs incultes du XXIème oublient ! Et, comble de l’horreur pour eux, ils ont sans doute dans leur entourage quelqu’un qui a eu une BX ! Ce franc succès, à mettre en parallèle avec celui de la 205 chez Peugeot, sauve Citroën alors que Talbot coule. En groupe B, la malheureuse BX 4TC ne connaîtra cependant pas la même fortune que la 205 Turbo 16. Cette mésaventure oubliée, la BX n’a pas déshonoré sa lignée. La suspension hydropneumatique, raffinement unique à ce niveau de prix, et l’excellent rapport poids-puissance, dû à l’utilisation massive de matière plastique en fait toujours une voiture d’ingénieur (on n’a pas dit de frimeur) et fait dire à Carl Hahn, PDG de VW, qu’elle est la « meilleure du monde, théoriquement. » Théoriquement, en effet, car dans la pratique, Citroën doit mettre de l’eau dans son vin et bien vite abandonner ses fameux compteurs « pèse-personne » à lecture directe, ancêtres directs de l’affichage digital. Trop moderne ? Idem pour le regroupement des boutons poussoirs et coulissants en « satellites » de part et d’autres du volant, que Michel Harmand avait théorisé. Sur la BX modèle 87, ces nouveaux dispositifs ergonomiques, pas toujours bien compris ni mis en pratique, laissent la place aux sempiternels compteurs à aiguilles et manettes multifonction. Citroën, qui cherche à dynamiter son image vieillotte, a entre-temps lancé la BX Sport, en 1985. Le nom du modèle, écrit en lettrage tape-à-l’œil, ne fait pas dans la dentelle, pas plus que les très gandiniennes échancrures de roues arrière. Quant au logo de proue anthracite, il faut croire qu’en ces temps de « chevrons sauvages », le noir fait aller plus vite. Et ça marche ! Le cap des 500 exemplaires initialement prévus est dépassé. La BX Sport accède au catalogue régulier. Après l’accalmie de la 19 GTI, plus TRS que Sport avec son volant plan-plan et ses enlaidisseurs en plastoc, la BX (GTI) 16 Soupapes remet à la mode les verrues de bas de caisse façon Countach et l’aileron débordant sur les ailes arrière.
Plus radicale, la dernière évolution du printemps 1989 met en avant ses jantes canon de fusil et ses feux arrière fumés, incontournables à la fin des années 80. La publicité n’hésite pas à mettre en scène la BX 16 Soupapes avec Marcello Gandini et la Lamborghini Countach qu’il a effectivement dessinée. L’image de marque associée au troisième âge en avait besoin même si le paisible cœur de clientèle, avant tout attachée à son confort de vieille literie, n’en demandait sans doute pas tant !
Texte : Laurent Berreterot
Bonjour,
j’ai acheté 2 BX 16 à carburateurs : 1 TZS BVA et une 16 Millesime pour faire un peu de mécanique en total amateur débutant, parce qu’elles étaient très peu chères avec des pièces faciles à trouver et également pas chères…Résultat : ce sont des voitures super sympa, super solides, faciles à réparer par un débutant pour pas cher et très agréables à conduire, même en BVA des années 90. je les ai vendues sans aucune difficulté en quelques jours une fois réparées..Il y a un forum BX super efficace, de vrais amateurs pour ces voitures, et beaucoup de plaisir à prendre à rouler et travailler dessus. Bref : ne négligez pas la BX si vous avez envie de mettre les mains dans le cambouis
j’adhère au commentaire de M.C. et continue de trouver injuste le traitement fait, à l’époque, aux satellites, dont je ne vois pas en quoi ils sont moins ergonomiques que des leviers-manettes aux pictogrammes minuscules…Disons plutôt que Citroën était un empêcheur de tourner en rond et bousculait le consensus conservateur en place. Quand trop d’innovation tue l’innovation…D’ailleurs, la ZX et Xantia se sont avérées bien plus sages dans leur approche, sans toutefois moins se vendre au final